L’Europe est alarmée par l’offensive russe en Ukraine, et tout le monde est concerné. L’opinion publique internationale suit heure par heure l’évolution de l’invasion russe. On peut ignorer les objectifs structurels de l’État russe et les motivations sous-jacentes en Ukraine dans la clameur de la bataille. L’examen des défenses avancées par les autorités russes pour leurs actions est crucial pour mieux comprendre. Mais une justification n’est pas une explication. De plus, il n’est pas possible d’expliquer les intentions russes en examinant attentivement les justifications explicites. Loin de là.
Ce qui n’est pas dit dans le conflit ukrainien est tout aussi crucial que ce qui l’est. La narration officielle omet quelques détails importants. Cependant, il est déjà puissant. Essayons d’y voir plus clair en nous posant trois questions effrayantes de base : pourquoi attaquer l’Ukraine maintenant ? pourquoi de cette façon ?
Voici une vidéo expliquant ces faits :
Pourquoi l’Ukraine ?
Le président russe a principalement invoqué trois justifications pour une “opération militaire spéciale” lundi soir et jeudi matin. Ce discours est de la propagande, et il révèle ce qu’il pense de l’Ukraine.
Le premier argument concerne la nature du gouvernement ukrainien, qu’il prétend être dirigé par une « junte », infiltré par des « mouvements néo-nazis », et qui est une colonie d’ennemis de la Russie. L’Ukraine est un État indépendant depuis la chute de l’URSS en 1991. L’opinion publique russe est la cible de ces prétextes qui frôlent l’absurde. Ils s’appuient sur une perspective historique largement partagée en Russie depuis de nombreuses années à travers des textes historiques, des films, des intellectuels et des célébrations officielles.
D’une part, les autorités russes attirent fréquemment l’attention sur une période de la Seconde Guerre mondiale où certains Ukrainiens de l’ouest du pays ont accueilli les envahisseurs allemands en libérateurs. Et certains médias russes insistent fréquemment sur l’existence réelle de mouvements d’extrême droite qui promeuvent l’anticommunisme et l’admiration nazie.
Cependant, depuis que Viktor Ianoukovitch, l’ancien président de l’Ukraine, a quitté ses fonctions fin 2013 sous la pression de l’opinion publique, les autorités russes ont toujours montré leur mépris envers les dirigeants ukrainiens. Vladimir Poutine considère l’ancien et l’actuel président ukrainiens comme les marionnettes des Américains. Ainsi, la Russie considère le gouvernement ukrainien comme illégitime.
La Russie ne peut pas pleinement fonctionner comme une puissance continentale sans l’Ukraine
Au-delà de cette perspective historique idéologiquement faussée, la puissance russe poursuit fondamentalement l’Ukraine pour des raisons structurelles.
L’Ukraine est une composante essentielle de l’histoire de la puissance russe en raison de sa taille (40 millions d’habitants et un territoire deux fois la France), sa localisation (entre la Russie et l’Europe, entre la mer Noire et l’espace caucasien) et son histoire (elle fut incorporée à l’Empire russe au XVIIIe siècle avant de faire partie de l’URSS par la constitution de 1922). En outre, l’Ukraine possède des ressources que la Russie exploite depuis longtemps, notamment des mines, des côtes et des terres à blé.
En bref, la Russie attaque maintenant l’Ukraine pour empêcher cette région vitale de se séparer davantage de la Fédération de Russie. Étant donné que l’Ukraine est la plaque tournante de l’influence russe en Europe et qu’elle est en contact avec la Hongrie, la Roumanie et la Pologne, attaquer l’Ukraine doit être une priorité absolue pour la présidence russe. En s’accrochant à l’Ukraine, la Russie a restauré le « glacis défensif » qui, selon les stratèges soviétiques, la protégerait de l’influence occidentale.
Pourquoi maintenant ?
Le calendrier respecte les objectifs à long et à court terme. Du point de vue de Moscou, les événements récents étaient favorables à une attaque aujourd’hui. L’administration Biden est affaiblie par le retrait d’Afghanistan, la pandémie, les conflits internes et la méfiance envers les alliés européens ; l’administration Macron approche de la fin de son premier mandat et la nouvelle équipe gouvernementale allemande est en cours d’installation ; l’administration ukrainienne est épuisée après trois ans de mandat ; les prix élevés du gaz et du pétrole depuis un an ont permis à la Russie de reconstituer ses réserves de change ; et l’opinion publique est préoccupée par la pandémie et ses effets.
De plus, depuis décembre, la Russie met les nations occidentales à l’épreuve avec des exercices militaires et a découvert qu’aucun pays n’est désireux de prendre le risque d’entrer en conflit direct avec les forces russes. La Russie avait une véritable fenêtre d’opportunité pour intervenir en Ukraine au tournant de l’année.
Les tendances plus longues sont également obéies par le tempo. D’un côté, les États-Unis semblaient s’être désintéressés de l’Europe au profit de la gigantomachie du XXIe siècle : sa rivalité avec la Chine. Une certaine méfiance a également été suscitée en Europe par le début de l’alliance avec l’Australie (Aukus) au détriment des intérêts français. Dès lors, après l’élection de Trump, l’OTAN s’est retrouvée dans une nouvelle crise de confiance.